lundi 16 août 2010

D1. SHATRUNJAYA (1), HAUT LIEU JAIN (Palitana)


SHATRUNJAYA (1)

HAUT LIEU JAÏN


(Palitana)




Depuis des années, je découvre en Inde de magnifiques lieux du jaïnisme.
Parmi mes préférés : Sravanabelagola et Sonagiri.
Récemment, j'ai découvert Girnargiri, près de Junagadh, au Gujarat.
(j'y consacre deux textes dans ce blog).
Le lendemain de mon arrivée à Palitana, je passe toute la journée à Shatrunjaya.

Je pars de l'hôtel vers 6h30, ce qui est un peu tard.
Par Main bazar, il faut au moins 30 minutes pour arriver à Shatrunjaya Taleti.
Beaucoup de dharamsalas, logeant les pèlerins jaïns, sont construits à moins de dix minutes de cette zone.
Ici commence la montée vers les collines, qui - après quelques milliers de marches - débouchent sur Shatrunjaya.


SHATRUNJAYA TALETI


Plusieurs temples forment le quartier de Shatrunjaya Taleti.
Les pèlerins se massent surtout dans le plus grand. Ils chantent ensemble, font des offrandes, prient en groupes, se préparent à une montée difficile.
Une zone du temple est isolée. J'entrevois des hommes vêtus de blanc : des moines jaïns ou des laïcs faisant une retraite, sans doute.

Je m'installe au-dessus des premiers temples. Impossible de passer incognito, on me scrute attentivement...
En ce cas, un moyen infaillible est d'écrire.
Je prends des notes sur un muret pendant trois-quart d'heure.

D'abord, la curiosité est sans détour.
On s'approche à dix centimètres, pour mieux regarder ces drôles de signes.
Des gardiens et des policiers se positionnent pour me garder toujours à l'oeil...

Les policiers vont et viennent dans leur uniforme bleu, tenant le long bâton traditionnel. Mais cela fait-il le poids face à un stylo ?
Un seul policier porte un grand fusil en bandoulière.
Comme je ne m'occupe pas d'eux, ils concluent que je suis un inoffensif gratte-papier.
Et ils rodent de moins en moins autour de moi.

De temps en temps, un porteur de chaise (doli) me propose ses services.
Des dolis partent, emportant un homme et trois femmes.
Leur âge ne nécessite pas de se faire porter. Sont-ils tous gravement malades ?
Marcher leur serait bénéfique, à tous points de vue.
Et qu'est-ce-qu'un pèlerinage ne demandant aucun effort physique personnel ?

Les chants des pèlerins s'arrêtent souvent, puis reprennent.
C'est un bon moyen de communier ensemble, de se donner du courage avant la montée de milliers de marches.

Le soleil est voilé par des nuages. Il ne fait pas encore trop chaud.
Au bord du sentier, la nature est belle. Les papillons vont de fleurs en fleurs et les oiseaux chantent.
Des bouviers laissent monter sans conviction une dizaine de vaches. L'un d'eux s'intéresse surtout à ce que j'écris...



LA MONTÉE VERS SHATRUNJAYA


Vers 8h, j'envoie au diable cette indolence.
J'entame l'ascension tranquillement, à croire que je compte y arriver demain...
Nombreuses photos en cours de route, pourquoi s'en priver ?
Cette fois, j'emporte les deux Canon, au détriment de la veste de montagne, laissée à l'hôtel.

Longtemps, je tiens compagnie aux vaches, qui n'ont aucune raison majeure pour battre des records de vitesse.
Je rejoins et dépasse régulièrement la traînarde de la bande, entre deux photos.

D'abord, on entend une sono indiscrète qui monte depuis Palitana.
Quand on passe le sommet de la première colline, j'apprécie enfin le silence.
Enfin... entre deux groupes de jeunes voulant absolument connaître mon pays ou mon nom (rarement les deux, d'ailleurs !)

Les marches se succèdent, à l'assaut de la deuxième colline.
Les vaches sont plus nombreuses que les pèlerins, car plusieurs troupeaux se sont regroupés. Je slalome entre culs et cornes en vrai cow-boy.
J'apprécie le décor champêtre, non surpeuplé...

Les marches se multiplient pour gravir une troisième colline.
Je coince un peu dans la montée, car la chaleur augmente sensiblement...
Des pèlerins à pied et en dolis me rejoignent.
Heureusement, la bouteille de Pepsi me donne un coup de fouet.
Un magnifique panorama sur le fleuve Shatrunjaya, et au delà, se dévoile à mesure...

Avant 10h, je m'arrête sur une place boisée, devant un temple hindou, un peu au-dessus de la marche 2600.
Une femme distribue de l'eau gracieusement en puisant dans une jarre.
C'est un lieu propice pour écrire.
Les chants des pipits, tourterelles, jabirus percent souvent ma concentration.
Quand je relève la tête, la vingtaine de pèlerins qui se reposait est repartie.

Pendant dix minutes, je monte seul.
Je surprends ainsi des oiseaux, des lapins et des perdrix.
Les pèlerins éloignent les animaux par leurs bavardages, leurs cris.
Certains trimballent une radio criarde...

Je pourrai monter plus vite, mais je préfère prendre mon temps.
Malheureusement, une dizaine de jeunes me rattrapent et s'excitent.
L'un deux se comporte en Cro Magnon , voulant palper un homme du XXIe s...
Je le maintiens à distance et l'interpelle : "Hey, Monkey !"
Explosion de joie des autres.
Pendant cinq minutes, je ne cesse d'entendre "Monkey !" Le surnom devrait être une leçon suffisante pour Cro Magnon...

Vers 10h30, j'ai besoin de manger (contrairement à la montée vers Girnar Giri, pendant laquelle je n'ai presque rien mangé).
Je quitte le sentier pour m'installer au-dessus d'un étang, ou des buffles d'eau mènent la belle vie.
Biscuits, une deuxième banane, des cacahouètes.

Je me régale aussi de la vision de Shatrunjaya.
La citadelle occupe une vaste superficie sur deux éperons rocheux.
C'est un site de défense merveilleux, entouré d'une campagne verdoyante.
Si j'étais peintre, j'installerais deux toiles : une pour Shatrunjaya, l'autre pour les buffles d'eau.

Plus haut, le sentier se divise, comme l'explique un grand plan du site :
- à droite, c'est l'accès à une entrée secondaire de Shatrunjaya
- je continue à gauche, vers l'entrée principale, où j'entre vers 11h.


VISITE DE SHATRUNJAYA


La grande cour permet d'accéder au chemin de ronde des murailles.
La rivière Shatrunjaya, très large, s'étale dans la vallée.
Je contente mes yeux dix minutes, allant et venant, pour varier les points de vue. Sur le sol, deux hommes jouent aux dés avec passion.
Dans la cour, les porteurs de dolis se reposent, se préparent à manger.
La ligne blanche, tracée sur le sol, mène aux temples principaux de Shatrunjaya.

Au fond à gauche, on entre dans le premier temple.
Il faut laisser ses chaussures à un grand vestiaire dans la cour.
Au Sagal Pole, on délivre une autorisation de photographier contre 100 roupies.

C'est un excellent investissement, car on nous laisse relativement libre. Mais photographier les idoles est strictement interdit.
Shatrunjaya est donc un lieu plutôt libéral.
(Lisez quand même la liste des interdictions, imprimée en anglais au verso du permis. Impressionnant, n'est-ce-pas ?)

Petit rappel.
Au Mont Abu, comme dans le temple de Somnath, toute photo est interdite.
Au Girnar Giri, un gardien m'empêche constamment de photographier pendant la visite du Neminath Temple...
Voila pour les râleurs !

Je remonte l'allée principale, sans m'attarder dans les temples latéraux.
Je teste aussi la réaction des nombreux gardiens. Ils doivent s'habituer à ma présence...
Très vite, j'entre dans le temple principal, dédié à Adishwara.

Adishwara Temple occupe une vaste espace au bout de la zone A.
En réalité, il est entouré par huit temples plus petits, sans compter chapelles et oratoires. Par exemple : Sahashtrakoot Temple, ... Temple, ... Temple.

De nouveau, j'applique ma règle favorite : prendre mon temps.
Je pose mon sac, contenant les deux Canon, près d'un gardien.
Puis je me promène, le dos léger, le nez pointé sur les sculptures. Dans mon sillage, j'entraîne d'abord deux gardiens.
Après dix ou quinze minutes, on s'habitue à ma nonchalance.

J'entre dans la salle principale, où je m'assieds.
Mais des ouvriers réparent une porte à la scie circulaire. La poussière et le bruit me font fuir.
Après avoir fait le tour de la place, je récupère mon sac.
Facile ensuite de faire des photos sans attirer l'attention de quiconque.

Je grimpe à l'étage du temple principal.
Sur le rempart, la vue est splendide, principalement sur la zone C (le second éperon rocheux, accessible par une autre entrée).
Un prêtre m'appelle
à l'intérieur pour me montrer une grande statue d'Adinath aux quatre visages. Deux femmes visitent avec moi. Le prêtre me montre les endroits où photographier, car il doit fermer cette partie du temple.

Après la clôture de cette salle, il m'incite à le suivre.
Nous faisons le tour des remparts.
Un rêve pour un photographe !
Après un tour complet, mon guide ne mendie pas. Cela me plaiî, je lui laisse donc 20 roupies.

Dans la cour, je suis accueilli par des Good morning ! à répétition.
Un puriste trouverait à y redire (nous sommes l'après-midi), comme mon anglais n'est pas si fameux, je réponds d'un sonore
Namaste !
A cette heure, les prêtres se font rares.
Après la visite du temple 24 (???), je sors de la zone principale.

En descendant la voie centrale, je tombe sur un gardien qui aimerait me servir de guide. Il m'ordonne de le suivre à gauche.
Je préfère voir à droite une frise qui m'intéresse.
Après deux ou trois essais comparables, il comprend que cela va être difficile.

Puis j'entre dans le temple qu'il souhaitait me montrer.
Fatigué, je depose mon sac contre une colonne.
Très bonne idée.
Car je découvre moi-même la caverne d'Ali Baba.
Sa forme est originale : une rampe de métal permettant de se hisser vers deux autres escaliers, menant au sommet de deux toits !
On pense à deux observatoires astronomiques.

L'Eos en vibre de satisfaction.
Du haut de mes perchoirs, je jubile. C'est beaucoup mieux que du toit de l'Adishwara, car le panorama est à 360 degrés !
D'ailleurs, on domine aussi l'Adishwara...
Je contemple admiratif les temples aux alentours, l'autre éperon rocheux, mais aussi la vaste vallée de la Shatrunjaya.

Après une série de photos, je pose l'Eos et continue à regarder comme un obsédé visuel.
Cela déplaît au gardien. Je l'entends m'appeller.
Mais que veut-il ?
Un suicide en règle ?

Trois minutes plus tard, je redescends.
Il me montre mon sac.
Le pauvre a peur que j'oublie mon sac. Ou alors un vol ?
Car deux hommes font la sieste près du sac. Je les vois mal se réveiller pour le voler...

Mon gardien me quitte alors, ouf !
En descendant, je croise un Anglo-saxon, c'est rare ! Un quadragénaire.
En anglais, nous échangeons quelques phrases :

- "Est-ce habituel en Inde ? Les Indiens me demandent sans cesse : Quel est ton pays ? J'en ai marre !"
- " Oui. Ils ne connaissent que deux ou trois phrases : "Quel est ton Pays ? Quel est ton nom ?" Alors ils s'exercent. Nous devons être patients et leur répondre..."
- Est-ce long pour visiter ? Je viens juste d'arriver..."
- "Il y a trois zones à visiter. C'est immense ! Je pense que trois jours sont nécessaires..."
- "Eh bien, je ne me rendais pas compte..."
- "Oui. Mais prenez votre temps. De toutes façons, on ne peut tout visiter. Alors, mieux vaut prendre son temps !"
- "Merci pour ces conseils !"

Et nous nous séparons.
Plus bas, un autre gardien, du genre fouine intéressée, jette son grappin sur "l'Américain" (c'est mon surnom le plus fréquent en Inde).
Aussitot, je deviens poisson et la fouine peine à me saisir.

Alors il change de tactique :
- "Do you have a permission for photos ?"
- "If you want, Sir, I can show you my permit !"
- "No, no ! It is O.K..."
J'ai compris... Il veut un bakschish. Sa face de fouine me répugne.

Peu après, il remarque que je m'arrête en face d'une idole.
- "You can take a picture ! No problem with me !"
- "No, thank you Sir !"
Un poisson sacrement glissant...

Alors ma fouine se dévoile : "Do you have money ?"
- "Sometimes, I give something. But for you, I give nothing. Sorry, Sir !"

Ce monde est truffé de chausse trappes.
Certains obtiennent beaucoup, d'autres sont d'éternelles fouines errantes.
Qui suis-je ? Serai-je sur terre pour refaire ses lois d'airain ?


Lionel Bonhouvrier.

2 commentaires:

  1. Merci pour ce magnifique texte Lionel qui me ramène à Shatrunjaya pour moi aussi un paradis exactement en tant que photographe - tu l'as deviné j'ai vu ça dans ton txte - et un endroit idéal pour l'inspiration, pour changer d'air...
    Et effectivement avec des gardiens un peu spéciaux, on en a fait les frais.. mais ne sont pas très agressifs au final, n'ont pas encore le discours commercial et l'agressivité des autres démarcheurs du restant de l'INDE... et ça suffit bien comme ça d'ailleurs, pourvu qu'ils ne changent pas trop vite.
    Bon voyage en tous les cas, profite en un maximum. Je t'imagine monter plusieurs fois la colline, à suivre tu me diras...
    Merci pour tous tes beaux textes.
    CAT

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  2. J'ai oublié de dire que j'ai adoré ta réponse à ce demandeur d'argent, et que je m'en vais la ressortir, vraiment extra....

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